📸 Interview exclusif avec Teresa Valero (CONTRAPASO BD) Pour Blacksadmania.com

Bonjour Teresa,

C’est un vrai plaisir de te retrouver aujourd’hui. Nous avons eu la chance d’être parmi tes tout premiers fans. Cette aventure nous a permis de découvrir ton univers avant beaucoup d’autres, et de partager notre admiration avec la grande communauté de passionnés sur le site Blacksadmania et la PageFanOfficielle Teresa Valero sur Instagram. C’est donc un peu comme un retour aux sources pour nous de pouvoir échanger directement avec toi ...

Teresa Valero: Bonjour Brice, tout d’abord, avant de répondre à cette interview , permettez-moi de vous remercier chaleureusement, Blacksadmania et dorénavant la PageFanOfficielle Teresa Valero sur instagram, pour votre soutien et l’appui dont vous faites preuve depuis tant d’années pour notre travail.
 

C’est vraiment touchant.

BrIce Marro (PageFanOfficielle): Comment est né le projet Contrapaso ? Pourquoi avoir choisi l’Espagne franquiste comme décor ?

Teresa Valero: Maintenant, je vais essayer de répondre à vos différentes questions. Pour celle-ci, comment est né le projet Contrapaso et pourquoi avoir choisi l’Espagne franquiste …  je suis une passionnée d’histoire, je lis beaucoup d’ouvrages sur l’histoire, en particulier sur la période qui nous intéresse, c’est une histoire bouleversante, qui explique beaucoup les moments actuels que l’on a en Espagne avec les blessures de la guerre civile qui sont encore ouvertes, et cela me permet de comprendre pourquoi on a une actualité politique et sociale comme on l’a en ce moment.
Alors, je voudrais raconter l’histoire d’un journal de fait divers ici en Espagne qui s’appelait « El Caso » qui parlait d’assassinats, des violences qui se passaient dans les années  50, où l’on était sous la dictature du Général Franco où tout le régime avait la volonté de montrer une paix , où il n’y avait pas de violence. C’est pour cela que ce journal avait des problèmes avec la censure. En travaillant sur le projet, la télévision espagnole a sorti une série TV qui parlait de ce journal et j’ai tout repensé pour arriver à la fiction et je pense que cela a été une bonne idée car j’étais plus libre de raconter quelques aspects de la société et de la dictature à travers cette fiction.

BrIce Marro (PageFanOfficielle): Ton premier tome a marqué les lecteurs par son mélange de polar, d’histoire et de critique sociale. Que voulais-tu approfondir dans ce deuxième opus ?

Teresa Valero: Eh oui .. j’ai été vraiment surprise de voir comment le 1^er tome a été reçu par le public français malgré que ce soit une histoire espagnole mais maintenant on peut voir comment le populisme et quelques options totalitaires sont en train de grandir en Europe .. alors l’histoire de Contrapaso parle directement  à tous les citoyens européens car on est un peu dans un moment qui ressemble aux années 30 ….  et c’est vrai que pour moi c’est vraiment important de réfléchir comment on peut vivre sous un régime dictatorial et parce que parfois on a tendance a mépriser les droits que l’on a maintenant, le droit de s’exprimer, de manifester … 

Avec le tome 2, je voulais parler plus de la censure, comment un gouvernement totalitaire pouvait contrôler  la religion, la presse et toutes les autres formes d’expression comme le cinéma, la télévision et l’utiliser à grande échelle pour la propagande sur la population … alors c’est cela qui m’intéresse le plus. J’aime beaucoup faire des polars , de monter une enquête avec toute la mécanique qu’un récit noir doit avoir. Mais pour moi, le plus important c’est la réflexion sur les moments politiques  .. une société qui va passer 40 ans sous ce régime dictatorial et explorer toutes les implications qu’un tel gouvernent va avoir sur les personnes prisonnières de cela.

⁠BrIce Marro (PageFanOfficielle):  Le titre Pour adultes avec réserves intrigue. Que signifie-t-il ?

Teresa Valero: Le titre fait référence à une classification ecclésiastique  que l’Eglise faisait sur les films à l’époque. Après la guerre, sous le gouvernement de la dictature de Franco, on a eu des comités de censure pour le cinéma, le théâtre, la presse, la TV, pour toute forme d’art et d’expression. L’Eglise a été spécialement vigilante avec le cinéma et ils ont décidé des catégories différentes pour  conseiller les spectateurs à voir ou ne pas voir certains films. La catégorie 1 c’était pour les films autorisés pour les enfants jusqu’à 14 ans.La catégorie 2 c’était pour les jeunes jusqu’à 21 ans. La catégorie 3 c’était pour les adultes et il y avait une catégorie 3R, pour adultes avec réserves. Cela voulait dire que c’était un film un peu « dangereux » et qu’il fallait être un adulte très « formé »  avec des valeurs religieuses pour le voir. Il y avait enfin les films de catégorie 4 qui étaient considérés comme gravement dangereux et que l’Eglise conseillait de ne pas voir.

Brice Marro (PageFanOfficielle):  Le dessin et l’ambiance graphique sont très marqués. Quelle place a pris la documentation dans ton travail ?

Teresa Valero: Je passe beaucoup de temps avec la documentation. Je regarde beaucoup de films espagnols de l’époque pour comprendre la société du moment. Je lis de vieux journaux, des livres écrits à l’époque. J’écoute des programmes de radio ou des documents sonores, et je parle avec des personnes qui ont connu cette époque (des personnes très âgées bien sûr) et je découvre un peu comme cela un portrait général de l’époque, de la junte politique , un sentiment général de la population sous la dictature.

Je cherche une sincérité qui est très importante pour moi et qui vient seulement d’une documentation très exhaustive.

Brice Marro (PageFanOfficielle): Y a-t-il une scène ou une case de ce tome 2 dont tu es particulièrement fière ?

Teresa Valero: Et oui, je suis très fière de la scène à l’intérieur de l’ Hôtel Castellana Hilton où l’on a la fête de bienvenue aux américains qui viennent tourner un film ici en Espagne et il y a une très grande case qui montre un peu l’organisation sociale de l’Espagne à l’époque, avec la politique, les artistes, l’Eglise, les fascistes, la phalange espagnole qui commençait à être mise à l’écart  car après la deuxième guerre mondiale, cette frange commençait à être très mal vue. Et comme le régime du général Franco voulait obtenir l’aide américaine, ce régime a commencé à changer les caractéristiques principales du gouvernement et est passé d’un état fasciste à un pays plus libéral et qui s’est ouvert à l’Amérique.

Alors, on peut voir tout cela concentré sur une seule case et je l’aime beaucoup ce moment-là.

Brice Marro (PageFanOfficielle):  Quels auteurs ou autrices de BD t’ont influencé dans ton  parcours ?

Teresa Valero: Oui je pense principalement à Ana Miralles, à Juanjo Guarnido. J’ai travaillé de nombreuses fois avec Juanjo et j’ai beaucoup appris  de lui. Il m’a beaucoup aidé avec des problèmes que j’ai eu sur des travaux d’animation sur la BD. Et Ana Miralles qui est une très bonne amie, j’apprécie beaucoup son travail. Je pense aussi à Miguelanxo Prado, qui est très important pour moi. Et aussi tous les auteurs classiques …. Moebius, Manara, Hugo Pratt, tous les auteurs franco-belge ont été très importants pour moi.

Brice Marro (PageFanOfficielle):   Contrapaso a reçu un bel accueil. Comment as-tu vécu cette reconnaissance ?

Teresa Valero: L’accueil de Contrapaso m’a surpris dans un premier temps. C’est vrai qu’il a incroyablement bien marché ici en Espagne et aussi en France. Ca m’a donné surtout beaucoup de confiance en moi et en mon travail et l’envie de continuer à raconter des histoires et à m’améliorer avec les dessins (les peaufiner) , les ambiances, les couleurs , la narration.
Alors, ceci est vraiment excitant pour moi d’avoir ce chemin devant moi.

Brice Marro (PageFanOfficielle):  Si tu pouvais adapter Contrapaso au cinéma ou en série, quel réalisateur ou actrice/acteur rêverais-tu d’avoir ?

Teresa Valero: Alors, pour l’adaptation de Contrapaso, c’est très difficile car je vois pour Léon Lenoir, Alain Delon bien sûr, mais c’est impossible maintenant. Mais sinon, je ne sais pas, j’ai rêvé à Ricardo Darin, aussi pour Sanz. Mais je ne sais pas, ça dépend du réalisateur, c’est très difficile de choisir maintenant. 

Brice Marro (PageFanOfficielle): Tes planches sont remarquées pour leur richesse visuelle et documentaire. Comment prépares-tu cet équilibre entre réalisme et narration ?

Teresa Valero: Normalement, pour préparer une planche je fais au début une investigation pour l’histoire générale, je prépare le scenario avec la trame bien peaufinée, bien étudiée, mais normalement pour les dialogues, je ne les fait pas définitifs, et pour préparer une scène par exemple, c’est un peu ouvert, je ne fais pas de choses trop définitives, alors quand j’attaque la planche, je fais tout d’abord une storyboard très rapide, très peu travaillée .. et je me questionne tout le temps s’il y a du rythme, si j’ai l’espace suffisant pour que les personnes puissent s’exprimer, que la lecture est reposée, si tout se comprend bien … Et  pour le dessin finale ,j’ai besoin de faire beaucoup de recherche pour choisir les vêtements, une table, les décors adéquats, tout cela, pour maintenir toujours  l’impression des années 50 en Espagne qui est une chose très particulière car je rappelle qu’on était un pays trop fermé. Alors, c’est cela que je fais pour chaque scène.

Brice Marro (PageFanOfficielle):  On sent aussi une réflexion sur le rôle du journalisme. Est-ce un fil rouge de la trilogie ?

Teresa Valero: Et oui je pense que la réflexion sur le rôle du journalisme est le thème principal de Contrapaso car je pense que maintenant on a vraiment besoin de cette réflexion. C’est difficile de trouver maintenant du journalisme d’auteur, vraiment libre, vraiment critique, qui n’a pas de  pouvoir à répondre, qui faire de critiques vraiment libres et responsables.

Alors oui, quand j’ai parlé avec des journalistes qui étaient en activité dans les années 50 en Espagne, ils m’ont raconté qu’ils étaient vraiment courageux lorsqu’ils écrivaient sur la dictature… ils ont subi la censure, devaient agir de façon astucieuse et ingénieuse pour essayer d’échapper à la censure.  Ils avaient l’espoir qu’après la dictature, il arriverait une époque dorée du journalisme mais cela ne s’est pas passé comme cela. Car lors de l’arrivée de la démocratie, le pouvoir économique a très tôt acheté la presse … c’était donc très difficile d’être complètement libre. Alors, ces journalistes m’ont dit que la liberté de la presse ça n’a pas beaucoup duré après l’arrivée  de la démocratie, et cela était triste , et c’est vrai car maintenant  ce n’est pas facile d’avoir des informations véraces, objectives, responsables  et claires de la part de la presse européenne. 

Brice Marro (PageFanOfficielle):  Le tome 2 est plus volumineux (près de 192 pages). Était-ce une nécessité narrative ?

Teresa Valero: Et oui, le tome 2 est très long, mais je pense que c’était important pour avoir une narration pensée et claire. Parce que l’histoire est complexe, je voulais parlé de pas mal d’aspects de la dictature, pas seulement de la censure, de la liberté de presse, mais aussi de la différence parmi les pauvres et les riches et aussi de la corruption journalistique. Et comment l’Espagne s’est un peu vendue à l’Amérique … alors j’avais besoin d’un peu d’espace pour tout raconter. 

Brice Marro (PageFanOfficielle):  Comment le public espagnol a-t-il réagi à cette suite ?

Teresa Valero: En Espagne, le volume 2 a très bien fonctionné. On a eu une fois de plus de sublimes critiques, alors je suis vraiment très satisfaite de la réaction du public, des critiques .. . et aussi ici la série est considérée comme une série de référence pour expliquer l’histoire espagnole et le fascisme en Europe et la vie sous un régime totalitaire. Je suis vraiment très satisfaite. 

Brice Marro (PageFanOfficielle): Enfin, que peux-tu nous dire sur le futur tome 3 ?

Teresa Valero: Pour le futur tome 3 qui va fermer cette trilogie, je voudrais parler de la situation des femmes pendant la dictature car après une liberté acquise pendant la république espagnole, la femme est revenue a la maison  avec la dictature, avec une pression très grande de la part de la religion … les femmes ne pouvaient pas travailler hors de la maison, elles étaient soumises aux pères, aux frères, aux maris, elles n’avaient pas le droit de voyager seule, de faire un achat important …. Alors je voudrais parler de cela et aussi de l’éducation , car l’éducation a été un aspect très important pour le régime franquiste, il était important de former l’esprit des citoyens depuis la petite enfance ... l’éducation a été à nouveau confiée à l’Eglise et après une période sous la république qui a beaucoup essayé de moderniser l’éducation avec le postulat de Maria Montessori et Célestin Freinet … avec des idées très modernes et très illustrées.
Tout cela s’est donc arrête avec l’arrivée de la dictature où l’on est revenu sur avec éducation très religieuse  basée sur la peur, la violence physique … alors je voudrais parler de cela.

Brice Marro (PageFanOfficielle): Teresa, as-tu pour projet de collaborer avec Juan Diaz Canales sur une bande dessinée, où tu serais au dessin et lui au scénario ? Si oui, peux-tu nous en dire plus sur le type d’histoire que vous aimeriez raconter ensemble ?

Teresa Valero: J’ai travaillé avec Juan sur Gentlemind, c’était vraiment génial . Mais maintenant, c’est vrai qu’il est incroyablement occupé .. il doit écrire beaucoup de scénarios pour les prochaines années, alors on n’y pense pas, ca ne laisse pas de possibilités réelles. Et aussi, j’aime beaucoup travaillé toute seule, dessiner et écrire mes propres scénarios. Je voudrais le faire le plus possible.

Mais bon, on ne ferme pas la porte. On verra car c’est toujours un vrai plaisir de travailler avec Juan, car il est si créatif, une personne avec une culture, un contrôle de l’information historique ou actuelle , ou politique qui est vraiment intéressant, alors c’est un plaisir de partager du temps de travail avec lui.

Contrapaso T1 - Les Enfants des Autres, Le 12/09/2025
Contrapaso T2 - Pour Adultes avec Réserves, Le 12/09/2025

Interview réalisée par Brice Marro @PageFanOfficielle & Transcripteur d'interview réalisé par Martial Meister ©Blacksadmania.com